Le Canada tient tête aux États-Unis à l'ONU sur les questions de genre


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Par La Presse Canadienne, 2024
NATIONS UNIES — Le Canada se mobilise pour faire progresser l'égalité des genres et le féminisme dans les forums mondiaux, alors que l'administration Trump tente de réduire les programmes de diversité aux Nations Unies.
«Nous sommes actuellement engagés dans une lutte acharnée au sujet de l'équité, de la diversité, des droits LGBTQ+, à propos même du concept même de genre, a rapporté Bob Rae, ambassadeur du Canada auprès de l'ONU, lors d'une entrevue. C'est tout un combat. Nous sommes confrontés à plusieurs pays qui refusent tout simplement d'accepter ces concepts comme étant valables et importants.»
Les Américains ont élu le président Donald Trump après que sa campagne eut notamment porté sur l'inversion des politiques touchant les personnes transgenres et sur la fin des initiatives en faveur de la diversité, de l'équité et de l'inclusion (DEI).
Depuis son arrivée au pouvoir, M. Trump a fait de la reconnaissance de seulement deux genres la position officielle du gouvernement et a cherché à supprimer le financement d'initiatives nationales et internationales qui promeuvent ce que son administration appelle «l'idéologie du genre».
Ces politiques ont commencé à s'introduire dans les forums de l'ONU.
Le mois dernier, les États-Unis ont imposé le tout premier vote sur les documents courants de l'UNICEF depuis la création de l'agence au service de l'enfance en 1946. Washington a rejeté une motion de consensus après avoir tenté en vain de modifier les documents pour demander à l'UNICEF d'abandonner les programmes de DEI ou d'«idéologie de genre».
«Les enfants doivent être protégés de cette idéologie dangereuse et de ses conséquences possibles», a soutenu la délégation américaine, sans citer de formulation précise. Certains des documents en question reconnaissaient l'existence des adolescents LGBTQ+ et leur risque accru d'être victime de violence.
Quelques jours plus tard, la délégation américaine a appelé ONU Femmes, qui se consacre à la promotion de l'égalité des genres, à «reconnaître clairement que les femmes sont biologiquement femelles et les hommes des mâles» et à éviter «les mouvements radicaux, tels que la DEI et l'idéologie de genre, qui n'amélioreront pas le fonctionnement d'ONU Femmes et qui présentent un caractère dégradant, injuste et dangereux pour les femmes et les filles».
M. Rae a déclaré que les États-Unis s'associent de plus en plus à des pays qui ne partagent pas les valeurs du Canada. «À l'échelle mondiale, nous voyons cela comme un combat désormais engagé, où les États-Unis rejoignent la Russie et plusieurs autres pays – dont franchement, le Saint-Siège fait partie – qui s'opposent fermement à ce qu'ils considèrent comme la proposition de valeurs», a-t-il déclaré.
M. Rae a indiqué que des réactions négatives sont apparues lors des discussions de l'ONU sur l'excision, la discrimination et les mariages précoces ou forcés.
La Russie a insisté sur sa défense des valeurs traditionnelles, tandis que la délégation du Vatican auprès de l'ONU n'a pas répondu à une demande de commentaires.
M. Rae s'est entretenu avec La Presse canadienne avant la session annuelle de la Commission de la condition de la femme, qui se tient actuellement au siège de l'ONU. Il s'est exprimé au début de la réunion annuelle en sa qualité de président temporaire du Conseil économique et social des Nations Unies, un organe qui gère les agences les plus importantes de l'ONU et la majeure partie de son budget.
M. Rae a déclaré que, de son point de vue en tant que chef du Conseil, il a constaté la réaction négative à la DEI dans les résolutions de l'ONU, dont les promoteurs doivent recourir à des négociations «très difficiles» pour trouver un libellé qui ne soit pas rejeté.
Un important comité de maintien de la paix de l'ONU, communément appelé C34, a toujours plaidé en faveur de l'utilisation de femmes comme soldats du maintien de la paix et de l'envoi de femmes en zone de conflits. Le débat public du comité le mois dernier semblait parvenir à un consensus, mais M. Rae a affirmé que les États membres se battent désormais pour maintenir l'accent sur le rôle des questions de genre dans le maintien de la paix.
Une question anciennement bipartisane
Le Canada soutient depuis longtemps, à l'ONU, le rôle de l'égalité des genres dans la promotion de la paix et de la sécurité – une tradition qui inclut le gouvernement conservateur de Stephen Harper, malgré ses fréquentes critiques à l'égard des Nations Unies.
Le gouvernement Harper a collaboré avec la Zambie sur des résolutions contre le mariage des enfants et le mariage forcé, que les deux pays ont depuis présentées à plusieurs reprises à l'Assemblée générale, a souligné M. Rae.
Le gouvernement Trudeau a donné suite à cette initiative en nommant une ambassadrice pour les femmes, la paix et la sécurité.
«Il existe, je pense, un large consensus sur notre approche, qui transcende les clivages partisans. Du moins, c'est le cas jusqu'à présent», a-t-il déclaré.
Maintenant, Washington s'aligne sur les États membres de l'ONU qui souhaitent saper ces mesures, tandis que le financement des programmes des Nations Unies se tarit.
«Nous devons reconnaître que la dynamique politique est difficile dans plusieurs régions», a affirmé M. Rae, ajoutant que le Canada fait partie de ceux «qui ne reviendront pas sur cette approche en matière de droits de la personne, plus particulièrement en ce qui concerne les droits des femmes, des homosexuels et des transgenres».
Criminalisation des LGBTQ+
M. Rae s'est dit particulièrement préoccupé par la criminalisation croissante de l'homosexualité dans le monde, soulignant que, si certains pays comme l'Inde ont progressé, de nombreux États ont régressé.
Dans une grande partie de l'Afrique, les gouvernements ont adopté des lois interdisant non seulement les relations homosexuelles, mais aussi l'identification comme personne LGBTQ+. Certains exigent que les citoyens signalent à la police toute personne soupçonnée d'être homosexuelle. Le Centre pour le développement démocratique du Ghana a averti que ces mesures, bien que populaires, portent atteinte aux institutions démocratiques et aux droits civiques. M. Rae a affirmé que les stéréotypes négatifs mènent à une persécution terrible dans de nombreux pays.
«C'est pourquoi nous en parlons comme d'une question de droits de la personne. Il ne s'agit pas de valeurs culturelles, mais de savoir si nous prenons la dignité humaine au sérieux», a-t-il déclaré.
M. Rae a indiqué que son équipe s'efforce de soulever ces enjeux avec humilité, ajoutant que la discrimination persiste même au Canada, mais que le pays prend des mesures pour s'améliorer.
La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a déclaré le mois dernier qu'Ottawa mène une diplomatie pragmatique pour trouver un terrain d'entente avec les pays qui ne partagent pas les mêmes valeurs.
Elle a souligné que «l'administration Trump prendra ses propres décisions» sur des questions comme les droits LGBTQ+ à l'étranger, mais n'a pas précisé si le Canada tentera de combler les lacunes en matière de défense des droits ou de financement laissées par le retrait des États-Unis.
«Nous continuerons de lutter pour le mode de vie à la canadienne, et nous le ferons en adoptant une politique étrangère très forte», a prévenu Mme Joly le 18 février.
Dylan Robertson, La Presse Canadienne